Newspaper articles

Jan 06, 2017

L’Iran, la Turquie et la Russie pourraient réussir un « coup diplomatique » sur la Syrie

Published in: Jana Jabbour, professeure de sciences politiques à Sciences Po (Paris) et à l'USJ (Beyrouth), et auteure du livre « La Turquie : l'invention d'une diplomatie émergente » (Paris, éditions du CNRS, 2017) répond aux questions de « L'Orient-Le Jour ».
share this article on:

L'Iran et la Turquie ont échangé des remarques cinglantes au sujet de la situation en Syrie par déclarations interposées ces derniers jours. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a ainsi déclaré mercredi : « Quand nous regardons qui commet ces violations (du cessez-le-feu), nous voyons que c'est le Hezbollah, en particulier, les groupes chiites et le régime » du président syrien Bachar el-Assad, a-t-il dit, en appelant l'Iran à « faire pression sur les milices chiites et le régime ».


L'entente entre ces deux puissances et la Russie a permis la signature d'un fragile cessez-le-feu le 28 décembre dernier. Le triangle diplomatique régional semble s'imposer face aux Occidentaux dans la résolution du conflit syrien. « À ce jour, le format de la "troïka" a montré sa pertinence », a récemment déclaré Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères. Des négociations de paix parrainées par les trois États doivent avoir lieu fin janvier à Astana (Kazakhstan), alors que les violations de la trêve se multiplient.


 


Mercredi soir, l'Iran a demandé à la Turquie de ne pas « compliquer davantage la situation » en Syrie, suite aux accusations lancées par Ankara au sujet des violations du cessez-le-feu. Cet échange est-il le reflet de la volonté de chacune de ces deux puissances de renforcer sa position dans les futures négociations de paix ?

L'Iran, la Turquie et la Russie, en dépit de leurs prises de position diamétralement opposées sur le dossier syrien, s'accordent sur une chose : que la solution au conflit syrien doit être une solution « régionale », c'est-à-dire initiée par Ankara, Téhéran et Moscou, et non pas « parachutée » par les Occidentaux. Cette solution doit garantir à chacune de ces puissances régionales une sphère d'influence en Syrie, une « part du gâteau » sur le marché de la reconstruction du pays, et un rôle actif et influent dans les futures négociations sur la reconfiguration politique du pays.


 


(Lire aussi : Ankara et Moscou, nouveaux arbitres du conflit syrien ?) 


 


Dans quelle mesure la Russie, l'Iran et la Turquie seront-ils disposés à faire des concessions par rapport à leurs positions respectives pour faire réussir les négociations ?

À l'heure actuelle, nous sommes à un tournant important de la crise, où les trois puissances se trouvent prêtes à faire des concessions pour faire réussir les négociations. En effet, Ankara mesure l'ampleur de l' « effet boomerang » que la crise syrienne a créé à l'intérieur de ses frontières, en termes de dégradation de la situation sécuritaire et de l'augmentation du poids économique des 3 millions de réfugiés qu'elle accueille. Surtout, Ankara considère qu'un rapprochement avec le régime de Bachar el-Assad est une « petite » concession si cela permet de contenir les Kurdes. Aux yeux des Turcs, l'expansionnisme kurde représente un plus grand danger pour leur sécurité nationale que le maintien au pouvoir d'Assad.


Quant à la Russie, elle mesure aussi le coût économique de ses frappes en Syrie, et surtout, elle s'inquiète de la résurgence du jihadisme sur son sol si la crise syrienne se prolongeait. Enfin, si l'Iran est toujours en position de va-t-en-guerre, il partage avec Ankara la même inquiétude quant à la montée en puissance et l'éventuelle autonomisation des Kurdes.

Selon mes entretiens avec des diplomates à Ankara, tout porte à croire que les négociations d'Astana, fin janvier 2017, vont aboutir, et que les puissances régionales feront un véritable « coup diplomatique » qui risque de faire pâlir les grandes puissances.


 


Est-ce que ce mariage de convenance pourra résister à long terme aux profondes divergences entre le Turquie, l'Iran et la Russie ?

À long terme, et malgré ce rapprochement et cette relative « accalmie », les divergences – voire les tensions – réapparaîtront inévitablement. Toutefois, elles sont maîtrisables : d'une part, les trois puissances sont interdépendantes sur les plans économique et énergétique, et sont ainsi « contraintes » de coopérer ; d'autre part, si elles sont en compétition pour le leadership du Moyen-Orient, elles s'accordent pour se partager la région en sphères d'influence distinctes.